• Vu pour vous "L'Illuminé", de Marc HOLLOGNE

     

    « L’Illuminé », de Marc Hollogne (critique de Céline Doukhan), Off du Festival d’Avignon, Théâtre du Chêne-Noir à Avignon

    Illuminé, hallucinant

     

    On est soufflé de la première à la dernière minute par le spectacle de Marc Hollogne, « l’Illuminé ».

    On ne sait par où commencer pour évoquer ce fascinant spectacle. Alors, commençons donc par l’argument : un hurluberlu, nommé chevalier de Casignac, débarque chez une comtesse de ses connaissances, devenue modiste de Marie-Antoinette, et sabote le déjeuner huppé où pavane un comte moustachu interprété par Michel Jonasz. Voilà en effet l’importun qui se met à déblatérer sur l’inquiétante montée en puissance des machines et autres « pompes à feu », qui vont pervertir le lien organique unissant depuis toujours l’homme à la nature. Ce prophète de malheur est bien vite expédié au cachot. Parviendra-t-il à rencontrer la comtesse pour lui remettre son manifeste anti-machines à l’adresse du roi ?

    Avec ce suspense en perruque et hauts de chausse, on n’a pas le temps de s’ennuyer, donc. Mais que dire de la démultiplication du sens, du feu d’artifice que représente le traitement du sujet ? Imaginez : d’un côté, le comédien dans son décor de cachot, et de l’autre, un écran large, suffisamment haut pour pouvoir figurer des personnages grandeur nature. Toute la puissance de ce dispositif réside dans l’interaction vraiment captivante du réel et de l’écran…

    illuminé

     « l’Illuminé » 

    Souvent, l’écran figure le prolongement du décor, de façon si parfaite qu’il permet au personnage d’intégrer le décor du film et d’en sortir avec la plus grande fluidité. C’est ainsi que l’acteur dialogue la plupart du temps avec des comédiens qui ne sont pas sur le plateau. Il s’adresse en réalité au bord du cadre ! Tandis que, depuis la salle, l’illusion est parfaite. Hauteurs des regards, timing des répliques, participent d’une étonnante et continuelle coordination entre écran et plateau. Mais à quoi tout cela sert-il ? Pourquoi se compliquer autant la vie ? En fait, le procédé fait surgir des ressources fantastiques qui font éprouver au spectateur un océan de sensations nouvelles. Le cinéma amène la variété des points de vue, des décors, des gros plans, mais également des incursions dans l’animation aussi insolites que pertinentes. Cependant, le théâtre reste bien là, avec son rythme, sa tension vitale, son jeu d’acteurs.

    Il faut dire que Marc Hollogne n’a pas n’importe qui pour partenaires à l’écran : Mathilda May, magnifique en comtesse ; Michel Jonasz, savoureux dans le rôle du comte ; Rufus dans celui du geôlier… Sans compter une pléiade d’autres comédiens, dont on retiendra Angela Delfini, envoûtante en jeune veuve obstinée, et Nathalie Gillet, gouvernante au fait des histoires secrètes de la maisonnée. Quant à Marc Hollogne, il parvient à faire oublier la virtuosité de la technique employée par une verve et une foi visiblement profonde dans les convictions de son personnage. Son flamboyant Cassandre des Lumières, en avance de deux cents ans sur son temps, on y croit à fond. Inutile, donc, d’appuyer par trop les références prémonitoires aux machines qui pourraient changer la température ambiante ou réchauffer notre pain sur un simple mouvement de la main. On a compris… La boucle est donc en quelque sorte bouclée puisque c’est grâce à un procédé qui utilise la technique (du cinéma) qu’Hollogne nous fait part de son inquiétude au sujet du règne de la machine. Mais, précisément, c’est un savoir-faire pourrait-on dire artisanal, la perfection dans l’accomplissement du geste technique plutôt que le déploiement de technologies qui font la réussite de l’entreprise.

    Aussi, en voyant ce spectacle, se trouve-t-on sûrement un peu dans le même état d’esprit que les premiers spectateurs du cinéma parlant, ou des tout premiers effets spéciaux, émerveillés par la nouveauté d’un procédé pourtant basé sur un principe tout simple – ou plutôt, qui nous émerveille précisément pour cette raison. On pense à Woody Allen faisant sortir le héros de son film dans la Rose pourpre du Caire, ou au Rohmer de «l’Anglaise et le Duc, qui superposait dans son film acteurs réels et décors issus de peintures du xviiie siècle. On se dit : mais comment se fait-il que personne n’y ait pensé plus tôt ? Voir les personnages entrer et sortir de l’écran et du décor procure une sensation d’étonnement qui emporterait même le plus blasé des spectateurs. Précisons d’ailleurs ici que, si beaucoup découvrent le « cinéma-théâtre » de Marc Hollogne, celui-ci n’en est pas à son coup d’essai : cela fait trente ans qu’il améliore de spectacle en spectacle ce dispositif. 

    Céline Doukhan


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